Toulouse-Lautrec, peintre prolifique, singulier et excessif
S'il en est un qui se distingue de ses pairs et de son époque, c'est bien lui, et ce, pour des raisons connues à la fois des amateurs d'art et du grand public. D'abord pour son talent immédiatement identifiable, avec notamment sa période d'affichiste montmartrois, mais aussi pour son physique singulier. Henri de Toulouse-Lautrec restera cet artiste marquant du XIXe siècle à la carrière féconde et à l'existence balisée d'excès.
Né dans la cité épiscopale d'Albi en 1864 et mort en 1901 à l'âge de 41 ans, il demeure l'un des peintres français les plus connus de son époque et le restera à jamais. Son père, le comte Alphonse de Toulouse-Lautrec et sa mère, Adèle Tapié de Céleyran étant cousins germains, il hérite d'une constitution fragile et d'une maladie génétique causées par ce mariage consanguin. Pourtant, Toulouse-Lautrec portera sur son handicap le même regard acéré et burlesque qu'il accorde à ses modèles. Il retient de son physique sa petite taille et ses jambes courtes, allant jusqu'à les accentuer jusqu'à l'exagération dans Autoportraits à charge (1896), l'une de ses réalisations.
Après avoir dessiné durant son enfance des silhouettes d'animaux et de chevaux (le musée d'Albi leur dédie une salle), puis peint des parties de chasse, des paysages ou des scènes du quotidien, il entame un enseignement académique dans des ateliers parisiens, devenant sensible aux courants modernes d'avant-garde, qui traversent le domaine de la peinture. Fort de son bagage didactique, Lautrec consacre du temps à faire des portraits et des illustrations pour les journaux. Portraits en plein air, personnages saisis dans leur quotidien, palettes claires et lumineuses, il saisit ses modèles dans leur environnement se forgeant ainsi son propre style.
En consultant l'exposition albigeoise, beaucoup découvrent des toiles de facture plus académiques comme le Viaduc de Castelvieil (1880), Henri de Toulouse-Lautrec par lui- même (1880), Travailleurs à Céleyran (1882), Le printemps de la vie (1883), Monsieur, madame et le chien (1894)… Lautrec tient aussi une place importante dans le domaine des arts appliqués, et les journaux s'assurent sa collaboration pour faire leur publicité. Ainsi, il crée des illustrations pour la promotion de feuilletons (" Les Trois drames de Toulouse d'A ", " La Châtelaine ou le Tocsin "), ou les mémoires de l'abbé Faure (" Au pied de l'échafaud ").
En 1891, alors qu'il commence à être reconnu comme l'illustrateur des ambiances montmartroises, les responsables du Moulin Rouge lui commandent une affiche intitulée Moulin Rouge, la Goulue, où il propose une vision de l'attraction du moment, le cancan. L'affiche connait un immense succès, qui se perpétue encore aujourd'hui, au point qu'il incita Toulouse-Lautrec dans la création d'affiches et de lithographies. L'innovation de son talent tient dans la synthèse qu'il opère dans la modernité, le cadrage, la simplicité, le sens de la couleur. Il puise en partie son inspiration dans les estampes japonaises alors très recherchées.
De son œuvre, on retient surtout sa période des nuits parisiennes. À l'époque, la prostitution est un thème souvent traité en peinture comme par exemple avec Édouard Manet, Edgar Degas ou Vincent van Gogh, mais aussi en littérature avec des écrivains tels Émile Zola ou Guy de Maupassant. Et s'il fréquente en tant que client ce milieu de noctambules, Lautrec s'attache à décrire le quotidien des prostituées sans voyeurisme et avec tendresse. À l'exception de quelques croquis grivois, il sublime la sensualité de certains gestes familiers de ces femmes. Preuve en est avec Femmes assise sur un divan (1882), Au salon de la rue des Moulins (1894), Femme qui tire son bas (1894), Deux femmes mi-nues de dos (1894)...
Situé à proximité de la majestueuse cathédrale Sainte-Cécile, le palais de la Berbie, ancienne résidence des évêques d'Albi classée au patrimoine mondial, accueille depuis 1922 la plus riche collection au monde d'œuvres du peintre albigeois, grâce à la généreuse donation de la famille. D'ailleurs, la récente visite du musée Toulouse-Lautrec d'Albi a permis de poser ces quelques lignes sur le plus célèbre des enfants du pays.