Odorico, le charme méditerranéen de la mosaïque

25/07/2023

C'est un immeuble qui fait la fierté des Angevins au même titre que le château du roi René ou la maison d'Adam, entre autres curiosités locales. La Maison bleue, qui bénéficie actuellement d'une restauration, tient sa réputation et son nom de sa façade qui est habillée de mosaïque bleue et or, une oeuvre signée par l'artiste Isidore Odorico. Jusqu'en janvier 2024, une exposition propose au Repaire urbain (boulevard du Roi-René à Angers) un aperçu des nombreuses créations ensoleillées de ce mosaïste connu et reconnu.

Le vestibule de la célèbre Maison bleue. © Angers Patrimoine, Ville d’Angers.
Le vestibule de la célèbre Maison bleue. © Angers Patrimoine, Ville d’Angers.

Un même prénom : Isidore, un même nom : Odorico. Et deux hommes pour un seul patronyme. D'abord, il y a eu le père, né en en 1842 dans la province du Frioul en Italie, immigré en France, qui a participé en tant que mosaïste au chantier de l'opéra Garnier à Paris dans les années 1860, puis fondé une entreprise à Rennes avec son frère Vincent. Ensuite, il y a eu le fils, né en 1893, issu de l'école des Beaux-arts de Rennes, qui créa des motifs en s'inspirant du style Art déco et collabora avec différents architectes à la conquête de nouveaux chantiers dans tout l'Ouest, de Rennes à Roscoff, de Nantes à Saint-Malo, de Laval à Vitré. C'est ce dernier que les Angevins ont appris à connaître en découvrant ses différentes réalisations locales.

Au début du 20e siècle, autant que le verre, le métal ou le béton, des matériaux utilisés comme habillage décoratif, la mosaïque contribue à l'essor de la modernité architecturale. Dès lors, l'entreprise des frères Odorico, celle de la deuxième génération créée par le fils, en profite pour prendre de l'élan grâce cette tendance en vogue. Un engouement qui va s'accélérer après l'exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de Paris en 1925, et qui donnera naissance à l'ère de la mosaïque industrielle. Laquelle offre des perspectives de développement et de rentabilité. En conséquence, les deux fils s'implantent à Dinard, à Nantes et à Angers, où la succursale est confiée à leur confrère Domenico Mander, l'ancien contremaître du chantier de la Maison bleue.

Désormais, tout le monde veut profiter des possibilités offertes par cet habillage en devenir et en parer tous les supports possibles et imaginables : façades, frontons, devantures, pavements, vestibules, salles de bains, mezzanines, enseignes, parements. La créativité n'a plus de limites et les chantiers s'accumulent, d'autant que les commandes sont passées par des entreprises, publiques ou privées, des établissements scolaires (à Angers : les Arts et Métiers, l'école Freppel, la Compagnie française d'aviation), des promoteurs immobiliers, des établissements hôteliers, des commerçants pour leurs devantures, des particuliers, et même des communautés religieuses comme la Maison diocésaine de Béhuard ou le Bon-Pasteur d'Angers.

Confort, sérénité et volupté deviennent de rigueur pour les salles de bains des plus fortunés, apprend-on lors de l'exposition dédiée. En créant le décor de certaines pièces d'eau, notamment dans la Maison bleue d'Angers, Isidore Odorico fait preuve d'un sens avancé de l'agencement. Exemple avec cet appartement du premier étage, où la mise en scène est poussée à son extrême. Par la présence de quelques marches, l'usager se retrouve sur un piédestal devant le lavabo et le miroir. Positionnée en pièce maîtresse du mobilier, la baignoire est également surélevée par quelques marches. La mosaïque d'émail bleu, vert émeraude et or, couvre toute la surface des murs, des escaliers et du sol, plongeant intégralement celui qui s'y baigne dans une atmosphère maritime.

D'ornementale à salubre, la mosaïque se révèle comme un revêtement idéal pour les hôpitaux, les sanatoriums ou les hospices, à l'exemple du sanatorium de Roscoff (Finistère) ou de l'ex-Hôtel-Dieu de Rennes (Ile-et-Vilaine). À l'ancienne clinique Saint-Joseph des Augustines d'Angers, sise rue Saint-Léonard, un décor de terrazzo dans les tons gris et vert avait été utilisé. Cette technique du terrazzo consiste à mélanger des petits fragments de pierre concassées dans une pâte de ciment que l'on étale au sol à la manière d'une chape. On peut ensuite la cirer pour la faire briller et faire ressortir la couleur des petits éclats de pierre. Ce type de revêtement, lessivable à grande eau, imputrescible et robuste, assure une excellente propreté dans les lieux publics très fréquentés.

À ce jour, les férus de patrimoine peuvent se lancer sur les traces de l'œuvre d'Odorico au hasard de quelques rues angevines. Ainsi, comme dans un musée à ciel ouvert, il leur est possible d'en découvrir quelques survivances : la Maison bleue, à l'angle du boulevard Foch et de la rue d'Alsace ; l'ex-café des Caves, place du Ralliement ; l'ancienne herboristerie Saint-Aubin, à l'angle des rues de la Préfecture et Saint-Aubin ; la Maison des architectes de Maine-et-Loire (ex-Compagnie française d'aviation), avenue René-Gasnier, l'Hôtel Continental et son fronton haut perché, rue Louis-de-Romain…

Luxe ultime, une visite à l'hôtel d'Anjou, boulevard Foch, s'impose et parachève la découverte. Certes, cet établissement privé n'est pas un lieu de promenade et le grand public devra attendre les Journées européennes du patrimoine, le 17 septembre prochain, pour le visiter. Pour autant, rien n'empêche quiconque de pousser les portes du restaurant Odorico afin de s'offrir un voyage culinaire dans un écrin des années 20 créé par Odorico en personne, sa signature sur le pan d'un mur en faisant foi. Sous une verrière art déco, dans un environnement habillé de mosaïques bleues et or, entre colonnades, moulures et ferronnerie d'art, le convive ne pourra que vagabonder entre son assiette et les fastueuses décorations intérieures.

Exposition Odorico, mosaïstes à Angers. Le Repaire urbain, 35, boulevard du Roi-René, 49100 Angers. Jusqu'au 6 janvier 2024.