Les usines Bessonneau, un empire dans la ville

09/01/2021

Parfois l'histoire oublie ceux qui la font en les perdant de vue. C'est le cas pour Julien Bessonneau, cet entrepreneur angevin qui marqua de son empreinte la fin du dix-neuvième siècle et une bonne moitié du vingtième. En employant plus de 10 000 personnes à son zénith industriel, son entreprise fut une « ville dans la ville » en créant des associations, des stades, des crèches, des œuvres sociales...

Qui connaît l'origine du nom de cette modeste « rue du Château » qui prend naissance en plein milieu de la Rampe d'Érigné et mène sur les hauteurs de la commune ? Une rue étroite, un virage en épingle à cheveux, une pente à fort dénivelé, et en haut de la route une résidence immobilière avec vue sur la plaine. Panorama confisqué et réservé aux seuls résidents. Ici, au sommet de La Roche d'Érigné, plus une trace ne subsiste du passé, pas un panneau ne rappelle que le château qui précéda cette construction résidentielle appartenait au sieur Julien Bessonneau.

C'est à dessein que ce récit débute ainsi. En insistant sur cette amnésie générale à l'égard d'un homme qui fit l'histoire d'Angers en incarnant l'âme de la ville. À l'évidence, la mémoire collective semble tarie : les jeunes générations ne savent pas, les aînés ont passé leur chemin. Seules traces encore tangibles du personnage, ce tronçon d'avenue entre les boulevards Foch et Carnot, certifié par une plaque de rue émaillée, ainsi que cette bâtisse classée aux monuments historiques, l'hôtel Bessonneau, situé au 15 ter, boulevard Foch.

Manière de parler à tous et de rappeler l'envergure de cet entrepreneur qui voyait le sport comme une harmonisation du corps et de l'esprit chez ses employés, rappelons aux férus de sport que l'actuel stade Raymond-Kopa - terrain des footballeurs professionnels du SCO d'Angers - est né sous le nom de stade Bessonneau en 1912 avant de devenir stade Jean-Bouin en 1957, et que le CSJB Angers (Club sportif Jean-Bouin), association d'athlétisme et co-organisateur de l'actuel cross du Courrier de l'Ouest, s'appela successivement Club sportif Bessonneau puis Club sportif Julien-Bessonneau.

Derrière un même patronyme se trouvaient en réalité deux hommes : le père, maire de Saint-Clément-de-la-Place, juge au Tribunal de commerce d'Angers et consul de Belgique, qui créa l'empire Bessonneau, et le fils - autre Jules - qui lui succéda après sa mort en 1926. D'abord associé, puis héritier de son oncle à la tête de la Corderie du Maine-et-Loire en 1883, le premier du nom absorba en 1901 la Société de l'industrie textile d'Angers qui présentait à son catalogue toutes sortes de références dans les domaines de la corderie, de la filature, du tissage à partir de la culture du chanvre. Dès lors, l'empire Bessonneau allait prendre son envol.

Devenue la Société anonyme des filatures, corderies et tissages d'Angers, l'entreprise va rayonner pendant près de soixante dix ans et ira jusqu'à employer plus de 10 000 personnes dans les années 1920. C'était d'autant plus considérable que, compte tenu de la démographie de l'époque, on recensait alors 85 000 habitants pour la ville d'Angers. Un pourcentage d'emploi local impossible à imaginer de nos jours !

Bessonneau, c'étaient plusieurs établissements regroupés au sein d'une seule société anonyme, répartis dans la ville sur 90 hectares : la corderie du Mail, l'usine de l'Ecce-Homo près de la gare Saint-Laud, la filature du Clon dans le quartier Lafayette, les tissages de la Madeleine, la gare de triage de la Maître-École. Bessonneau, ce furent des exportations en Afrique, en Extrême-Orient, en Amérique du Sud, au Canada ; des débouchés dans l'aéronautique, l'armée, la marine, l'agriculture ; la fabrication de hangars d'aviation, de bâches, de voileries, de tentes-hôpitaux, de maisons préfabriquées...

Mais Bessonneau, c'était aussi une culture d'entreprise, une sorte de paternalisme provincial au profit des employés de « la Maison » avec la création d'une cité ouvrière, d'une caisse de secours, d'une harmonie musicale, d'une école ménagère, de crèches, d'une colonie de vacances, de clubs de sport... Une cohérence qui s'étendait auprès des cadres de l'entreprise qui regroupèrent leurs habitations autour de la demeure de leur patron, le Château de la Manufacture de Cordages et Tissages du Mail, situé avenue Jeanne d'Arc. Rescapées de l'époque, certaines de ces maisons - réhabilitées pour certaines - sont encore visibles le long de cette voie piétonne.