Derrière les murs de la prison, des concerts de musique
Avec « Symphonie carcérale », un livre paru chez l'éditeur Steinkis, on pénètre de plain-pied dans l'un des univers les plus méconnus du grand public, celui de la prison. En même temps qu'il nous emmène pour une visite hors norme dans le milieu carcéral, Romain Dutter, coordinateur culturel, fait un récit sur son quotidien professionnel, celui qui consiste à amener la musique aux détenus.
Ce jour-là à la Librairie Richer, à Angers, on se félicitait de recevoir Romain Dutter et Bouqé, les deux auteurs de « Symphonie carcérale », le premier au texte et le second au dessin, pour une rencontre-dédicace des plus attendues. En cause, une bande dessinée parue chez Steinkis Éditions qui traite d'un sujet tellement « inattendu et unique », selon les termes des responsables du magasin, qu'il était hors de question de faire l'impasse sur l'occasion. De fait, il s'agissait pour eux de présenter l'un des rares ouvrages à apporter un tel éclairage sur le milieu carcéral « vu de l'intérieur », le seul en tout cas sous la forme de bande dessinée. Une aubaine pour ce libraire.
Pendant dix ans, Romain Dutter fut le coordinateur culturel du Centre pénitentiaire de Fresnes pour le compte de la Fédération d'éducation populaire Léo Lagrange, et à ce titre, il était en charge des activités culturelles, comme d'autres évoluent à l'éducation, à la musique ou aux ateliers d'écriture. Sa mission à lui - mais aussi sa passion dans le civil en tant que musicien « très » amateur (c'est lui qui le dit) - fut l'organisation de concerts de musique. Après avoir pris ses marques en planifiant des ateliers de pratiques artistiques (écriture, théâtre, danse, expression culturelle), il a enfilé avec bonheur « la veste » d'organisateur de spectacles en programmant des concerts de groupes musicaux dans la salle dite de « la Chapelle », un lieu à l'acoustique et à la jauge étonnamment adaptées dans un tel endroit.
Des prisons du Honduras en Amérique centrale, où il a effectué au cours d'une vie précédente du volontariat à la Maison de la Culture de Santa Rosa de Copan, jusqu'à son poste de coordinateur culturel à la prison de Fresnes, l'un des plus vieux établissements pénitentiaires de France avec ses 3000 détenus, l'auteur livre un récit à la fois ludique et didactique. C'est donc à une immersion dans un autre « monde » qu'il nous fait entrer en nous expliquant le système carcéral, l'histoire pénitentiaire, la politique culturelle, en faisant témoigner les détenus, les artistes, les gardiens, en usant du sérieux qui convient pour ce sujet, mais aussi en l'agrémentant de touches d'humour indispensables à son propos.
« Symphonie carcérale » contredit les préjugés et les lieux communs sur la prison, sans prendre le parti de blâmer ou d'excuser, sans broder ou arranger, mais tout simplement en racontant le réel et les situations d'individus privés de liberté. Des hommes et des femmes avides de découvertes culturelles, d'inattendu dans la routine, d'évasion par la musique. Et pendant ses dix ans de pratique, l'auteur a toujours eu dans un coin de la tête la vague idée de témoigner sur la face méconnue de cette vie en marge. Sans bien savoir sous quelle forme, jusqu'au jour où il a fait part de sa décision finale à son pote du dehors, Augustin : « T'ai-je parlé de mon envie de faire une BD sur mon taf ? »
Au final, voilà un livre aussi instructif que plaisant, qui regorge de « petites et grandes histoires des concerts en prison » comme l'affirme en préambule l'éditeur dans sa présentation. Un livre riche, complet, accompli, argumenté, déconcertant, nécessaire... En faisant le choix d'un roman graphique en deux couleurs dominantes, orange et noir, plutôt qu'un récit traditionnel à la densité typographique convenue, Romain Dutter et Bouqué ont réussi un petit bijou d'ouvrage à l'esthétisme abouti.
Symphonie carcérale de Romain Dutter et Bouqé. Éditions Steinkis. Roman graphique de 176 pages. 20 euros.